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11 juillet 2022

La circulation des poids lourds en ville et son impact sur la durée de vie des chaussées

 

Nid de poule consécutif à orniérage et fissuration suivis d'arrachements.

L'observation suivante a été formulée dans différentes instances où siègent des représentants de l'autorité  : "il est vain de produire des arrêtés municipaux qui ne produisent aucun effet parce que leurs prescriptions ne donnent lieu à aucun contrôle et donc à aucune sanction".

Le cas d'espèce considéré était la limitation du tonnage des poids lourds circulant dans Versailles au regard de la durée de vie des chaussées.


Rappel réglementaire

La circulation dans la commune de Versailles est interdite aux véhicules d'un poids total en charge supérieur à 10 tonnes (sauf quelques exceptions de bon sens) aux termes d'un arrêté municipal du 25 février 1971 signé André Mignot sénateur-maire de Versailles.


La panneau sur la photo ci-dessus (à l'entrée Nord de Versailles en venant de Jardy) existe, à quelques variantes près, à chaque entrée de la ville. Il est parfaitement clair, sauf qu'il est implanté à l'endroit où la limitation de vitesse passe de 70 à 50 km/h est qu'il serait nécessaire d'arrêter son véhicule et de se rapprocher à pied du panneau pour prendre connaissance des prescriptions importantes qu'il indique. Ce qui est impossible. Donc personne ne les connaît.

A noter que l'interdiction est abaissée à 3,5 tonnes dans 16 voies de Versailles, indiquée aux entrées de ces voies par un grand panneau circulaire qui, lui, ne peut être ignoré.


Rappel technique

Les sollicitations répétées sur un matériau provoquent un phénomène dit "de fatigue" pouvant conduire à sa rupture. Les principaux facteurs de fatigue sont 1) la charge ou la déformation imposée et 2) le nombre de cycles. 

Une chaussée souple moderne est un multicouche comportant des enrobés bitumineux, matériau cohérent pouvant supporter des contraintes de cisaillement et de traction. Sous l'effet de l'application d'une charge en surface (une roue de véhicule par exemple), le multicouche se déforme en cuvette et des tractions par flexion se développent à la base de chaque couche, constituant la principale cause de la fatigue. Si la charge est trop forte on sort du domaine élastique et on atteint la rupture avec déformation plastique irréversible.



La durée de vie d'une chaussée souple est ainsi de quelques années tandis que pour les ouvrages d'art en béton elle est de l'ordre d'une centaine d'années. La recherche d'une méthode rationnelle de dimensionnement pour ces ouvrages à vie courte que sont les chaussées s'est imposée dans l'entre deux guerres. Des essais empiriques de fatigue sur piste et sur manège sont notés en France (Vincennes) dès 1931. 

manège de fatigue © UGE

Aux USA ont été menés les fameux essais de très grande ampleur WASHO (1952) et AASHO (1958) pour un coût de 30 millions de dollars. La recherche française s'en inspirera et les améliorera. En 1957 Jeuffroy et Bachelez produisent leurs fameux abaques de dimensionnement. En tenant compte notamment de la  charge par essieu, de la configuration du train roulant, du trafic et de la constitution de la chaussée on détermine la durée de vie (ou inversement).

D'autres approches existent par des essais en laboratoire sur éprouvette et par des calculs de mécanique des milieux continus composites.

Les chaussées ne sont pas seulement des rues et des routes, mais aussi des plateformes industrielles, des aérodromes et des assises de voies ferrées.

La pathologie des chaussées distingue diverses dégradations : faïençage, fissuration, arrachement, pompage, orniérage, etc. Dès les premiers dommages, la dégradation s'accélère.

On retiendra comme ordre de grandeur que 1 passage d'un poids lourd peut être aussi destructeur que 100 000 passages d'une voiture particulière.


La limitation du tonnage des poids lourds protège le patrimoine

En France le poids total en charge est plafonné à 44 t et la charge par essieu à 13 t, avec réduction en cas d'essieux rapprochés. De nombreuses limitations plus sévères existent localement. C'est évidemment le nombre d'essieux d'un poids lourd et la charge de chacun d'entre eux qui détermine la sollicitation de la chaussée dont dépend sa durée de vie. Néanmoins, les limitations sont chiffrées en poids total, parce que c'est plus commode à appréhender et aussi parce que le poids total est pertinent pour imposer une limite sur un pont.


En dehors du cas des ponts, il est courant de n'envisager le tonnage des poids lourds qu'au regard des nuisances qu'ils provoquent en termes de trafic, de bruit, d'encombrement de la circulation en ville, mais pas des dommages qu'ils provoquent sur les chaussées et qui génèrent d'importantes dépenses.

Or refaire une chaussée au bout de 5 ans alors qu'elle avait été dimensionnée pour durer 10 ans représente un surcoût significatif. Mais cette dépense est souvent acceptée comme une fatalité alors que la destruction précoce de la chaussée est essentiellement la conséquence du non-respect de la limitation du tonnage.

Les poids lourds qui seraient en infraction pour tonnage excessif doivent donc être très sévèrement interdits de circulation. Ceci nécessite un contrôle régulier impliquant interception du véhicule par un OPJ, pesage des essieux (au moyen d'un peson électronique, pas d'un pont-bascule) sur une aire de garage et application d'une amende en cas d'infraction. C'est une opération dont la police n'est pas friande. En revanche, on peut compter sur un effet multiplicateur efficace par le bouche-à-oreille dans le monde des camionneurs.

Il serait intéressant de connaître le nombre d'infractions à la limitation de tonnage qui ont été sanctionnées depuis 1971. Répondre qu'on a d'autres chats à fouetter n'est pas recevable.

Conclusion : pour une bonne gestion de l'argent public il faut limiter le tonnage des poids lourds, donc le contrôler et sanctionner les infractions.

Par analogie, imaginons ce qu'il adviendrait de la sécurité routière si les excès de vitesse sur les routes n'étaient pas contrôlés ni sanctionnés.


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