1 mars 2022

Politique énergétique - gouverner c'est prévoir - quelques repères

Centrale de Civeaux © EDF


Avec 19 centrales nucléaires et 56 réacteurs actifs en 2020, la France est au deuxième rang mondial derrière les Etats-Unis. La France dispose du parc nucléaire le plus important au monde par rapport à sa population.

Le fil chronologique présenté ci-dessous a été élaboré à partir d'informations piochées aux meilleures sources, lesquelles sont multiples : EDF, IRSN, ASN, CNE, CNP, CSFN, revues techniques et scientifiques, grandes entreprises, presse, etc.

Les buts recherchés sont : baliser les grandes étapes, les tournants et les retournements du développement du nucléaire civil en France au gré des évènements majeurs, mettre en lumière des choix politiques dogmatiques mal inspirés générant de fâcheuses conséquences et suivis de corrections tardives.

Cet article est associé à celui du 19 février 2022 dans ce blog, intitulé "L'avenir du nucléaire selon EDF".

1951 - mise en service d'OBNINSK  (à 100 km de Moscou), première centrale nucléaire au monde à être raccordée au réseau électrique, puissance 5 MW, graphite eau, prototype des réacteurs RBMK (Reaktor Bolshoy Moshchnosti Kanalnyi).

1959 – mise en service de MARCOULE (département du Gard), première centrale de France, plusieurs réacteurs graphite gaz ; G2 39 MW 1959, G3 40 MW 1960, Phénix 130 MW 1974.

1973 - PREMIER CHOC PETROLIER - Guerre du Kippour.

1978 – mise en service de FESSENHEIM (département du Haut-Rhin), deux réacteurs REP (Réacteur à Eau Pressurisée) sur le modèle de la centrale de Beaver Valley, Pensylvania, l’eau pressurisée sert à la fois de modérateur et de caloporteur, puissance 2 x 900 = 1 800 MW.

1979 - DEUXIEME CHOC PETROLIER - Chute du shah d'Iran

1986 – ACCIDENT DE TCHERNOBYL le 26 avril 1986. Cette centrale (à 100 km de Kyiv, Ukraine) est prévue comporter 6 réacteurs RBMK de 1 000 MW chacun, les 4 premiers et qui seront les seuls sont mis en service entre 1977 et 1983. L’accident touche le réacteur numéro 4. Il causera entre 60 et 3 000 décès. C’est la plus grande catastrophe nucléaire civile à ce jour. Le réacteur endommagé a été recouvert d’un sarcophage provisoire de béton par les Russes en 1986, bientôt dégradé. Une arche définitive d’un poids de 36 000 t, d’une durée de vie de 100 ans, a été construite par-dessus entre 2009 et 2016 par le groupement Novarka (Vinci – Bouygues).

Tchernobyl - l'arche avant sa translation © NOVARKA
Tchernobyl - l'arche en position sur le sarcophage du réacteur n°4 
©️ NOVARKA

1988 - CIVEAUX (département de la Vienne) début de la construction de deux réacteurs REP de 1 495 MW chacun, Civeaux 1 mis en service en 1997, Civeaux 2 en 1999. Dernière installation nucléaire construite en France, suivie d'une longue pause jusqu'à Flamanville 3 dont la construction débute en 2007. Cette pause provoquera une regrettable perte de compétences.

2007 – FLAMANVILLE 3, début de construction de la tranche 3, qui est un EPR de 3e génération, puissance 1 630 MW (Evolutionary Power Reactor,  type de réacteur de la filière à eau pressurisée, conçu et développé, dans les années 1990, par la société NPI (Nuclear Power International), détenue à parts égales par Framatome SA et Siemens KWU) s’ajoutant aux deux premières tranches en service en 1986 et Flamanville 2 mise en service en 1987, toutes deux EPR d’ancienne génération de puissance 1 330 MW chacun. Flamanville 3 connaît de nombreux déboires techniques pendant sa construction entraînant des retards et des surcoûts très importants. La mise en service est actuellement prévue en 2023. Les difficultés sont imputées par EDF à la perte de compétences depuis Civeaux résultant d’une pause de vingt ans dans la conception et la construction de centrales nucléaires en France.

2008 - TROISIEME CHOC PETROLIER - Surcroît de demande.

2011 – ACCIDENT DE FUKUSHIMA le 11 mars 2011. Cette centrale (à 250 km au nord de Tokyo) comporte 6 réacteurs REB (Réacteur à Eau Bouillante) pour une puissance totale de 4 700 MW, mis en service entre 1971 et 1979. C’est un tsunami qui a provoqué la submersion de la centrale et la mise hors service du refroidissement entraînant l’accident nucléaire. Toute la région a été dévastée par le tsunami provoquant de nombreux décès mais aucun décès par radiation, même à long terme, n’a été constaté. L’accident aura des répercussions mondiales par renforcement des mesures de sécurité sur les centrales existantes et en projet. Les antinucléaires veulent ignorer que l’origine du sinistre est une catastrophe naturelle, et cela aura une influence décisive sur l’opinion publique et les décisions politiques visant l’arrêt de la production d’électricité d’origine nucléaire.

2011 – PROMESSE DE HOLLANDE DE FERMER FESSENHEIM. Le 19 novembre 2011, à quelques mois de l’élection présidentielle, le Parti Socialiste et Europe Ecologie-Les-Vert se concertent pour former, en cas de victoire de la gauche, une coalition à l’Assemblée nationale. Ils concluent un accord prévoyant la « fermeture progressive de vingt-quatre réacteurs » (sur un total de 58 à l’époque) d’ici à 2025, dont « l’arrêt immédiat de Fessenheim ». Après son élection, François Hollande promet que la centrale de Fessenheim fermera à la fin de l’année 2016, dès la mise en service de l’EPR de Flamanville.

2015 – LOI DE TRANSITION ENERGETIQUE. La loi no 2015-992 du  relative à la transition énergétique pour la croissance verte, aussi dite de manière abrégée « loi de transition énergétique » ou « loi sur la transition énergétique et pour la croissance verte » est une loi proposée en 2014 par le gouvernement français via la ministre de l'Environnement Ségolène Royal, et présentée comme une loi « d'action et de mobilisation ». Cette loi fixe les grands objectifs d’un nouveau modèle énergétique français, dans le cadre mondial et européen (la loi « contribue à la mise en place d’une Union européenne de l'énergie »). Elle vise aussi à encourager une « croissance verte » (100 000 emplois espérés sur 3 ans) en réduisant la facture énergétique de la France et en favorisant des énergies dites « nouvelles », propres et sûres. Elle comporte aussi des dispositions favorisant l'économie circulaire et une meilleure gestion des déchets.

La loi du 17 août 2015 instaure un plafond de la puissance installée, désormais plafonnée à 63,2 GW. Dès lors, la mise en service de nouveaux réacteurs est conditionnée à l'arrêt préalable de réacteurs plus anciens. La loi fixe également un objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité. 

En outre, si l'énergie nucléaire est une énergie décarbonée, elle n'est pas renouvelable car elle utilise l'uranium comme combustible. La Programmation Pluriannuelle de l'Energie (PPE) 2019-2028 prévoit ainsi la fermeture de 14 réacteurs nucléaires.

2017 – PROMESSE DE MACRON DE FERMER FESSENHEIM. Pendant sa campagne pour la présidentielle Macron confirme que la fermeture de Fessenheim sera liée à la mise en service de Flamanville.

2019 – DECLARATION DE MISE A L’ARRÊT DEFINITIVE DE FESSENHEIM déposée le 27 septembre 2019.

Rappelons que la centrale appartient pour 67,5 % à EDF et pour 32,5 % à des groupes allemands et suisses (EnBW, Alpiq, Axpo et BKW). Avec l'accord de tous les actionnaires, EDF a engagé des travaux afin de porter la durée de vie de la centrale à cinquante ou soixante ans.

Rappelons que l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) considère qu'il n'y a pas de risques justifiant l'arrêt de l'exploitation de la centrale et qu’elle a donné son accord à la poursuite de l'exploitation de la centrale pour dix ans supplémentaires, en 2011 pour la tranche 1et en 2013 pour la tranche 2, sous réserve que soient réalisés les travaux tirés des enseignements de Fukushima.

Rappelons que l’autorité de sûreté nucléaire américaine (NRC) a accordé des renouvellements de licence jusqu’à 60 ans pour 81 réacteurs sur les 99 en service dans le pays, dont la centrale de Beaver Valley qui est la centrale de référence de Fessenheim.

2019 – ABANDON DU PROJET ASTRID. Il a été décidé en août 2019 de reporter « à la fin du siècle » le projet ASTRID (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration), dont l’objectif était de déployer sur le territoire national des réacteurs de quatrième génération, dont aucun pays n’est actuellement doté. Annoncé par le Commissariat à l’énergie atomique au début des années 2010, ASTRID avait pour objectif d’initier un nouveau prototype de réacteur nucléaire à neutrons rapides utilisant le sodium comme liquide de refroidissement. Le lieu de déploiement avait d’ailleurs déjà été trouvé, en la centrale nucléaire de Marcoule, dans le Gard. Un projet d’autant plus ambitieux qu’il aurait permis à la France de se doter d’un des tous premiers réacteurs de quatrième génération. Ces derniers ont pour objectif d’imaginer les centrales de demain, plus économes, plus sûres et produisant moins de déchets.

Projet de réacteur ASTRID © TRACTEBEL


2020 – FERMETURE EFFECTIVE DE FESSENHEIM. Le réacteur 1 est fermé le 22 février 2020 alors que la mise en service de Flamanville 3 est encore très lointaine (prévision actuelle 2023). Le réacteur 2 est fermé le 30 juin 2020. 

2021 – PLAN FRANCE 2030. Dans le plan "France 2030", présenté le 12 octobre, le président Macron a annoncé la construction de "SMR", des réacteurs modulaires nouvelle génération, devant, selon lui, faire émerger en France d’ici à 2030 des réacteurs nucléaires de petite taille, innovants et avec une meilleure gestion des déchets. Il a annoncé qu'une partie des 30 milliards d'euros d'investissement prévus par le plan France 2030, allait être allouée à la sûreté du nucléaire et à la réduction des déchets.

2022 – DISCOURS DU PRESIDENT MACRON A BELFORT. Le 10 février 2022, sur le site de General Electric, il annonce la construction de 6 EPR avant 2050. Il annonce également la signature du contrat pour le rachat des turbines Arabelle, les plus puissantes du monde, liées aux technologies EPR, EPR2 et SMR. Rappelons qu’en 2015, Macron, alors ministre de l’Économie de Hollande, avait vendu la branche électrique d’Alstom (GE Steam Power), comprenant lesdites turbines Arabelle, à l'américain General Electric. D’aucuns s’interrogent sur la pertinence et surtout sur le bilan financier pour la France de cet aller-retour.

2022 - GUERRE EN UKRAINE. L'invasion le 24 février 2022 de l'Ukraine par la Russie provoque des perturbations majeures sur le plan énergétique. Certains pays découvrent qu'ils sont lourdement dépendants du gaz fourni par la Russie et qu'ils n'ont peut-être pas été bien inspirés en fermant leurs centrales nucléaires. D'autres comprennent enfin que le nucléaire est totalement décarboné et que l'éolien et le solaire nécessitent des centrales à gaz ou a charbon pour pallier leur intermittence. Les prix s'envolent. On prend brutalement conscience des conséquences de la dépendance énergétique. La production maintenue de Fessenheim aurait permis de couvrir un tiers des achats d’électricité au prix fort actuellement nécessaires .

Voir également dans ce blog, sur le même thème mais sous des titres différents, les articles du 19 février 2022, 14 octobre 2021, 26 mai 2021, 24 août 2020, 20 juin 2020 et 23 février 2020.

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